Quand Attac veut émanciper les anti
Malgré sa critique du libéralisme et le slogan d’Attac appelant de ses vœux une « autre mondialisation » et un « autre monde », l’étatisme associatif n’aspire pas réellement à une rupture avec le capitalisme. Il ne s’agit pas d’un positionnement anticapitaliste comme le souhaiterait l’extrême gauche. Ce déplacement de l’anticapitalisme à l’antilibéralisme amène les acteurs politiques à redéfinir les marqueurs symboliques sur lesquels repose leur existence publique. Dans un réflexe qui n’est pas sans rappeler l’accusation de « social-traître » dont ont été accablés les sociaux-démocrates dans les années 1930, Attac et les acteurs à la gauche du Parti socialiste utilisent aujourd’hui l’anathème « social-libéral » pour discréditer toute initiative visant à redé- finir l’action de la gauche en dehors de la tradition étatiste 23. Ce glissement de l’anticapitalisme à l’antilibéralisme pose également une question fondamentale qui est latente dans la critique de la mondialisation mais que les animateurs du mouvement antimondialisation n’abordent presque jamais de front, à savoir : quel type de capitalisme est possible et souhaitable dans un contexte post-socialiste et post-révolutionnaire ? Cette question avait été posée avec éloquence par Michel Albert, au lendemain de la chute du mur de Berlin, dans son fameux essai Capitalisme contre capitalisme 24. La plupart des opposants français à la mondialisation s’entendent d’ailleurs sur la nécessité et l’urgence de défendre le modèle « rhénan », qu’incarneraient l’Allemagne et la France, contre le modèle libéral anglo-saxon. La popularité de la défense du « modèle social européen » va dans le même sens. D’un autre côté, cependant, les antilibéraux n’assument pas leur parti pris capitaliste. Pour des raisons culturelles et stratégiques, ils restent embourbés, comme les néolibéraux qu’ils combattent, dans une rhétorique reposant sur une conception abstraite de l’économie qui rend impossible tout débat de fond sur les réformes institutionnelles concrètes que requiert, tant selon des critères de croissance que de justice, l’adaptation du capitalisme rhénan. Ce faisant, ils contribuent à empêcher la recomposition de la gauche sur la base d’un nouveau projet politique émancipateur.